Le correcteur est-il un sinistre personnage sourcilleux ? Un écuyer d’académicien ? N’a-t-il de passion que pour le second accent d’événement, la place des capitales dans les titres d’œuvres ou l’accord du participe passé des verbes pronominaux ? Dit-il, immortel : « On ne dit pas… », « On dit… » ?
Certains, peut-être, mais ce n’est pas l’esprit de la maison. Bien sûr, le correcteur est rigoureux : il connaît la langue, orthographe, syntaxe, ponctuation, orthotypographie, lexicographie, mais il connaît aussi son histoire, ses variantes, sa géographie ; il sait que Grevisse ne prend pas d’accent, mais que son Bon Usage comporte systématiquement des exemples littéraires d’usages divergents, et qu’après après que, nombre de grandes plumes ont employé et emploient aussi bien l’indicatif – mieux, le futur antérieur de l’indicatif –, que l’innommable subjonctif. Il connaît l’histoire de l’accent aigu d’événement : un accident d’imprimerie, trois siècles de conséquences et, parfois, de pédanteries.
Que fait le correcteur ? Il soigne le texte, mais pas en orthopédiste : ce n’est pas dans la norme qu’il veut le faire entrer, mais dans le lecteur. Il soigne le lecteur : évacuer, autant que possible, toute erreur, c’est lui épargner les doutes inutiles : si l’appel de note est tantôt avant le guillemet fermant, tantôt après, faut-il y voir une nuance dans l’appareil documentaire d’un ouvrage savant ? S’il y a ici et là des espaces doubles, est-ce l’intention expresse de l’auteur, comme certains poètes du blanc dans la page peuvent le pratiquer, ou de simples négligences ? Ces deux chapitres identiques IX et XVII sont-ils un effet postmoderne ou un copier-coller raté ? Si un narrateur a le mot au bout des lèvres, est-ce une figure de style voulue ou un moment de fatigue du traducteur ?
Le bout de la langue, c’est là qu’il se tient, au service du lecteur, du texte et de l’auteur : autant que possible, faire de sorte que tout soit bien pesé, délibéré, à l’échelle du signe, du mot, de la phrase, du paragraphe, de la note, de la marge, de la page, du chapitre, du volume.
Il prépare la copie, avant la mise en pages : nettoie, met sous styles, corrige, recherche ou vérifie les visuels, note ses questions, contacte l’auteur ou l’autrice, finalise ; puis contrôle la maquette, ligne à ligne, page à page, fausses et belles pages, titres courants, recompte les folios, pointe, évalue le gris typographique, retouche des coupures en fin de ligne, pointe encore la table des matières, le colophon, les quatre couvertures, le prix, le numéro d’ISBN, le code à barres même, l’épaisseur du dos, et doit s’y entendre en grammage, bouffant, pelliculage, main du papier, labels forestiers, rouge-vert-bleu et cyan-magenta-jaune-noir, tirages, offset, numérique, chaîne logistique, distribution, diffusion, bibliothèque, librairie.